Arbitrage en matière médicale : Le compromis d’arbitrage signé entre un assuré et un assureur n’est pas soumis au régime des clauses abusives.
(Civ. 1re, 25 février 2010, pourvoi n° 09-12.126)
Dans un contexte de règlement des conflits en perpétuelle mutation, le recours aux mesures alternatives de règlement des litiges, MARL – arbitrage, médiation, conciliation – présente un réel intérêt pour les parties, allant - avec cet arrêt- jusqu’aux frontières du droit de la consommation.
Pourtant, le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 classe dans la catégorie des « clauses grises » les clauses relatives aux modes alternatifs de règlement des litiges qui sont présumées être abusives du seul fait de leur présence dans un contrat de consommation.
La première chambre civile de la Cour de cassation met ici en lumière son souhait de valoriser l’arbitrage alors même qu’il s’agit d’un contrat d’assurance conclu entre un professionnel et un consommateur. Arrêt inédit en la matière qui tend à favoriser le recours à ce mode de règlements des conflits.
En l’espèce, victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral) le 11 février 2000, M. X a signé avec son assureur (l’Association générale de prévoyance militaire vie) un protocole d’expertise arbitrale en février 2002, afin qu’il soit déterminé à partir de quelle date il pouvait être considéré comme étant en état d’invalidité totale et définitive. Par la signature de cet acte, les parties décidaient de s’en remettre aux conclusions du médecin et renonçaient à toute contestation ultérieure.
Le médecin ayant conclu que M. X était en invalidité totale et définitive depuis la date de la consolidation médico-légale de son état, soit le 31 décembre 2001, l'assureur lui a versé les indemnités convenues à compter de cette date.
Insatisfait de cette indemnisation, M. X a alors demandé à ce que les indemnités lui soient versées à compter de la date de son accident vasculaire.
En appel, l’action de M. X a été déclarée irrecevable, dans la mesure où la convention d’arbitrage stipulait que l’assuré ne pouvait saisir un juge étatique après que l’expert ait rendu ses conclusions ; rien d’étonnant dans tout cela, puisque l’article 1458 du Code de procédure civile indique que dès lors qu’existe une convention d’arbitrage, les juridictions étatiques doivent se déclarer incompétentes (si elles sont saisies).
M. X a fait grief à l'arrêt attaqué (CA Aix en Provence, 26 nov. 2008) d'avoir déclaré son action irrecevable, soutenant qu'est « abusive la clause ayant pour effet d'obliger un consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat ».
Naturellement, M. X se fonde ici sur l’article L. 132-1 du Code de la consommation, selon lequel « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
Rappelons par ailleurs que la clause compromissoire est, en vertu de l’article 2061 du Code civil, valable uniquement « dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle » ; elle n’est donc en principe pas valable en matière civile (« sous réserves de dispositions législatives particulières »).
Toutefois, par l’arrêt du 25 février 2010, la première Chambre civile de la Cour de cassation a approuvé la décision précédemment rendue en retenant que « le compromis d'arbitrage signé, hors toute clause compromissoire insérée à la police d'assurance, entre l'assureur et l'assuré après la naissance d'un litige, ne constitue pas une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ou un consommateur, et n'est donc pas susceptible de présenter un caractère abusif au sens du texte visé au moyen ».
Les juges posent ici clairement la distinction entre la clause compromissoire - qui peut s’entendre comme la clause par laquelle les parties à un contrat s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître à l’occasion de ce contrat - et le compromis d’arbitrage - qui suppose l’existence d’un litige né et actuel, ce qui était le cas en l’espèce.
En effet, sous le visa de l’alinéa 7 de l’article L. 132-1 du Code de la consommation – qui indique que « l'appréciation du caractère abusif des clauses … ne porte [pas] sur la définition de l'objet principal du contrat » tout apportant une limite « pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » - la première Chambre civile de la Cour de cassation entend classer dans deux catégories la convention d’arbitrage et le contrat d’assurance, alors même que l’un se rattacherait à l’autre d’une quelconque façon. Il s’agit finalement de ne sanctionner que les clauses contractuelles accessoires, en prenant le soin d’exclure du contrôle les clauses principales.
Le fait d’effectuer une telle différence de traitement entre la convention d’arbitrage en elle-même, conclue indépendamment du contrat d’assurance, de manière autonome, et la clause compromissoire insérée dans le contrat d’assurance, en son sein, permet de comprendre toute la subtilité du raisonnement des juges. Néanmoins, ceux-ci ne semblent l’admettre qu’en partie, se contentant de régler la question de droit posée en l’espèce, l’existence d’un compromis d’arbitrage.
Cette solution ne va pas sans rappeler le sort qui a été réservé à la clause attributive de juridiction qui, insérée dans un contrat de consommation, est considérée comme étant abusive en droit communautaire (CJCE 27 juin 2000, JCP E 2001. 1281, note Carballo Fidalgo et Paisant).
Cette décision laisse apparaître l’autonomie du compromis d’arbitrage, distinct de la clause compromissoire - somme toute, il ne s’agit pas d’une clause insérée au contrat initial - et donc insusceptible de se voir appliquer le régime des clauses abusives.
Finalement, cette solution ne tend pas à conférer à l’arbitrage une immunité totale mais il faut noter le véritable pas en avant effectué par les juges en favorisant le recours à ce MARL en présence d’un professionnel et surtout, d’un consommateur.
Immunité fragile en effet, puisque le compromis d’arbitrage aurait pu être annulé sur un tout autre fondement, sur celui du droit commun des obligations. L’assuré aurait pu se légitimement se tromper, en croyant que le protocole n’était qu’une simple expertise et non pas un compromis d’arbitrage. Dans cette configuration-ci, l’erreur aurait pu être retenue, l’erreur sur la nature même du contrat – erreur-obstacle impliquant la nullité de ladite convention. Un tel fondement n’ayant pas été soulevé en l’espèce, le contrat conserve toute sa légitimité.
Fleur DUBOIS LAMBERT et Marion MURCIA, doctorantes de l’Université Montpellier 1.
L’arrêt :
Cass. Civ. 1è, 25 février 2010, n°09-12.126
Rejet
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que, victime d’un accident vasculaire cérébral survenu le 11 février 2000, ayant entraîné d’importantes séquelles, M. X... a signé avec l’Association générale de prévoyance militaire vie (l’assureur) un protocole d’expertise arbitrale en vue de voir déterminer à quelle date il pouvait être considéré en état d’invalidité totale et définitive, les parties déclarant s’en remettre à la décision du médecin arbitre et renoncer à toutes contestations ultérieures ; que le médecin arbitre ayant conclu que M. X... était en invalidité totale définitive depuis la date de la consolidation médico légale de son état acquise au 31 décembre 2001, l’assureur a versé à celui ci les indemnités convenues à compter de cette date ; que M. X... a assigné l’assureur en paiement d’indemnités depuis la date de son accident ;
Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt attaqué (Aix en Provence, 26 novembre 2008) d’avoir déclaré son action irrecevable, alors, selon le moyen, qu’est abusive la clause ayant pour effet d’obliger un consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat ; qu’en admettant que la stipulation, conclue entre M. X... et l’AGPM vie, organisant un arbitrage médical, interdisait à l’exposant de saisir le juge étatique, après que l’expert avait rendu ses conclusions, la cour d'appel a violé l’article L. 132 1 du code de la consommation ;
Mais attendu que le compromis d’arbitrage signé, hors toute clause compromissoire insérée à la police d’assurance, entre l’assureur et l’assuré après la naissance d’un litige, ne constitue pas une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ou un consommateur, et n’est donc pas susceptible de présenter un caractère abusif au sens du texte visé au moyen ; d’où il suit que le grief n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les autres griefs qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
(Civ. 1re, 25 février 2010, pourvoi n° 09-12.126)
Dans un contexte de règlement des conflits en perpétuelle mutation, le recours aux mesures alternatives de règlement des litiges, MARL – arbitrage, médiation, conciliation – présente un réel intérêt pour les parties, allant - avec cet arrêt- jusqu’aux frontières du droit de la consommation.
Pourtant, le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 classe dans la catégorie des « clauses grises » les clauses relatives aux modes alternatifs de règlement des litiges qui sont présumées être abusives du seul fait de leur présence dans un contrat de consommation.
La première chambre civile de la Cour de cassation met ici en lumière son souhait de valoriser l’arbitrage alors même qu’il s’agit d’un contrat d’assurance conclu entre un professionnel et un consommateur. Arrêt inédit en la matière qui tend à favoriser le recours à ce mode de règlements des conflits.
En l’espèce, victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral) le 11 février 2000, M. X a signé avec son assureur (l’Association générale de prévoyance militaire vie) un protocole d’expertise arbitrale en février 2002, afin qu’il soit déterminé à partir de quelle date il pouvait être considéré comme étant en état d’invalidité totale et définitive. Par la signature de cet acte, les parties décidaient de s’en remettre aux conclusions du médecin et renonçaient à toute contestation ultérieure.
Le médecin ayant conclu que M. X était en invalidité totale et définitive depuis la date de la consolidation médico-légale de son état, soit le 31 décembre 2001, l'assureur lui a versé les indemnités convenues à compter de cette date.
Insatisfait de cette indemnisation, M. X a alors demandé à ce que les indemnités lui soient versées à compter de la date de son accident vasculaire.
En appel, l’action de M. X a été déclarée irrecevable, dans la mesure où la convention d’arbitrage stipulait que l’assuré ne pouvait saisir un juge étatique après que l’expert ait rendu ses conclusions ; rien d’étonnant dans tout cela, puisque l’article 1458 du Code de procédure civile indique que dès lors qu’existe une convention d’arbitrage, les juridictions étatiques doivent se déclarer incompétentes (si elles sont saisies).
M. X a fait grief à l'arrêt attaqué (CA Aix en Provence, 26 nov. 2008) d'avoir déclaré son action irrecevable, soutenant qu'est « abusive la clause ayant pour effet d'obliger un consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui-ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat ».
Naturellement, M. X se fonde ici sur l’article L. 132-1 du Code de la consommation, selon lequel « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »
Rappelons par ailleurs que la clause compromissoire est, en vertu de l’article 2061 du Code civil, valable uniquement « dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle » ; elle n’est donc en principe pas valable en matière civile (« sous réserves de dispositions législatives particulières »).
Toutefois, par l’arrêt du 25 février 2010, la première Chambre civile de la Cour de cassation a approuvé la décision précédemment rendue en retenant que « le compromis d'arbitrage signé, hors toute clause compromissoire insérée à la police d'assurance, entre l'assureur et l'assuré après la naissance d'un litige, ne constitue pas une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ou un consommateur, et n'est donc pas susceptible de présenter un caractère abusif au sens du texte visé au moyen ».
Les juges posent ici clairement la distinction entre la clause compromissoire - qui peut s’entendre comme la clause par laquelle les parties à un contrat s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître à l’occasion de ce contrat - et le compromis d’arbitrage - qui suppose l’existence d’un litige né et actuel, ce qui était le cas en l’espèce.
En effet, sous le visa de l’alinéa 7 de l’article L. 132-1 du Code de la consommation – qui indique que « l'appréciation du caractère abusif des clauses … ne porte [pas] sur la définition de l'objet principal du contrat » tout apportant une limite « pour autant que les clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible » - la première Chambre civile de la Cour de cassation entend classer dans deux catégories la convention d’arbitrage et le contrat d’assurance, alors même que l’un se rattacherait à l’autre d’une quelconque façon. Il s’agit finalement de ne sanctionner que les clauses contractuelles accessoires, en prenant le soin d’exclure du contrôle les clauses principales.
Le fait d’effectuer une telle différence de traitement entre la convention d’arbitrage en elle-même, conclue indépendamment du contrat d’assurance, de manière autonome, et la clause compromissoire insérée dans le contrat d’assurance, en son sein, permet de comprendre toute la subtilité du raisonnement des juges. Néanmoins, ceux-ci ne semblent l’admettre qu’en partie, se contentant de régler la question de droit posée en l’espèce, l’existence d’un compromis d’arbitrage.
Cette solution ne va pas sans rappeler le sort qui a été réservé à la clause attributive de juridiction qui, insérée dans un contrat de consommation, est considérée comme étant abusive en droit communautaire (CJCE 27 juin 2000, JCP E 2001. 1281, note Carballo Fidalgo et Paisant).
Cette décision laisse apparaître l’autonomie du compromis d’arbitrage, distinct de la clause compromissoire - somme toute, il ne s’agit pas d’une clause insérée au contrat initial - et donc insusceptible de se voir appliquer le régime des clauses abusives.
Finalement, cette solution ne tend pas à conférer à l’arbitrage une immunité totale mais il faut noter le véritable pas en avant effectué par les juges en favorisant le recours à ce MARL en présence d’un professionnel et surtout, d’un consommateur.
Immunité fragile en effet, puisque le compromis d’arbitrage aurait pu être annulé sur un tout autre fondement, sur celui du droit commun des obligations. L’assuré aurait pu se légitimement se tromper, en croyant que le protocole n’était qu’une simple expertise et non pas un compromis d’arbitrage. Dans cette configuration-ci, l’erreur aurait pu être retenue, l’erreur sur la nature même du contrat – erreur-obstacle impliquant la nullité de ladite convention. Un tel fondement n’ayant pas été soulevé en l’espèce, le contrat conserve toute sa légitimité.
Fleur DUBOIS LAMBERT et Marion MURCIA, doctorantes de l’Université Montpellier 1.
L’arrêt :
Cass. Civ. 1è, 25 février 2010, n°09-12.126
Rejet
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Attendu que, victime d’un accident vasculaire cérébral survenu le 11 février 2000, ayant entraîné d’importantes séquelles, M. X... a signé avec l’Association générale de prévoyance militaire vie (l’assureur) un protocole d’expertise arbitrale en vue de voir déterminer à quelle date il pouvait être considéré en état d’invalidité totale et définitive, les parties déclarant s’en remettre à la décision du médecin arbitre et renoncer à toutes contestations ultérieures ; que le médecin arbitre ayant conclu que M. X... était en invalidité totale définitive depuis la date de la consolidation médico légale de son état acquise au 31 décembre 2001, l’assureur a versé à celui ci les indemnités convenues à compter de cette date ; que M. X... a assigné l’assureur en paiement d’indemnités depuis la date de son accident ;
Attendu que M. X... fait grief à l’arrêt attaqué (Aix en Provence, 26 novembre 2008) d’avoir déclaré son action irrecevable, alors, selon le moyen, qu’est abusive la clause ayant pour effet d’obliger un consommateur à saisir exclusivement une juridiction d'arbitrage non couverte par des dispositions légales ou à passer exclusivement par un mode alternatif de règlement des litiges, en limitant indûment les moyens de preuves à la disposition du consommateur ou en imposant à celui ci une charge de preuve qui, en vertu du droit applicable, devrait revenir normalement à une autre partie au contrat ; qu’en admettant que la stipulation, conclue entre M. X... et l’AGPM vie, organisant un arbitrage médical, interdisait à l’exposant de saisir le juge étatique, après que l’expert avait rendu ses conclusions, la cour d'appel a violé l’article L. 132 1 du code de la consommation ;
Mais attendu que le compromis d’arbitrage signé, hors toute clause compromissoire insérée à la police d’assurance, entre l’assureur et l’assuré après la naissance d’un litige, ne constitue pas une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un non professionnel ou un consommateur, et n’est donc pas susceptible de présenter un caractère abusif au sens du texte visé au moyen ; d’où il suit que le grief n’est pas fondé ;
Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les autres griefs qui ne seraient pas de nature à permettre l’admission du pourvoi ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
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